Blue Jasmine sur vos écrans : à voir absolument

Quand Woody Allen pleure des larmes sèches sur ce drôle de monde…

Par Franck Davit

blue jasmine de Woody AllenBlue Jasmine, le dernier film de Woody Allen, tombe comme la lame d’un couperet, impitoyable. Il cisaille le regard de son tranchant acéré, œuvre au laser chirurgical comme une opération de la cataracte à sec. Dit comme ça, la chose semble douloureuse à voir et elle l’est ô combien, mais il faut souffrir pour être beau : l’adage s’applique-t-il au cinéma ? Dans le cas de Blue Jasmine, la réponse est assurément, immensément oui ! Le film est magnifique, dur, d’un éclat froid et lapidaire. On y rit un peu mais surtout on s’y glace d’effroi devant ce miroir tendu sans une ombre de compassion à l’époque et au genre humain. Woody Allen s’y reflète à hauteur d’homme, en misanthrope aiguisant les faux-semblants, faisant cristalliser à l’écran une sorte d’extra- lucidité sur ses semblables. 

Peau de chagrin

L’histoire raconte la descente aux enfers d’une grande bourgeoise new-yorkaise. Après un retour de fortune, celle-ci est contrainte de venir vivre chez sa sœur sans le sou, dans un minable appartement à San Francisco. Descente aux enfers supposerait qu’il y ait eu paradis auparavant. Ce n’est peut-être pas exactement de cet œil que Woody Allen envisage la situation. Alternant les scènes du passé rutilant et le présent amoché de son héroïne, il dissèque au scalpel des relations humaines où l’argent, le statut social mènent la danse. L’amour dans tout ça ? Une sorte de peau de chagrin qui se racornit, où les sentiments et le désir laissent la place à la peur d’être seul, à la reconquête de son rang dans la société. D’élan entre les êtres, il n’est ici question que de télescopage pour la survie, pour le paraître. Riches et pauvres sont logés à la même enseigne dans cette course à la mort sans âme. Woody Allen se garde bien de tomber dans le panneau démago d’une rédemption par la pauvreté et la « vraie vie » où retombe Jasmine après ses années fastes. Pas d’attendrissement facile et factice devant la pauvre petite dame riche éprouvée par la cruauté de l’existence. On n’est pas chez Sophia Coppola et sa compassion à 2 balles pour les mélancolies fashion d’une jeunesse dorée. Il l’accompagne sur son chemin de croix sans ciller, sans la livrer en pâtures comme si elle n’avait que celle qu’elle mérite, sans complaisance pour son malheur. Juste en prenant acte de ses faits et gestes, de sa déglingue, laissant chacun ajuster à sa vue le spectacle de sa déchéance. 

Un Oscar à vie pour Cate Blanchett

Pour incarner cette femme au supplice, figure moderne d’une Lady Sorrow, Cate Blanchett. Magistrale. Somptueuse. Sublime. Une actrice dans le plein exercice de son métier. Ici, les mots ne viennent pas facilement pour dire le tressaillement au fond de ses yeux, son travail d’équilibriste entre la superbe et la folie du personnage. Seuls les superlatifs sautent à la figure devant son visage dévasté à la toute fin du film. Elle insuffle à Jasmine quelque chose de viscéral. A des lieues d’une performance de comédienne aveuglée par le potentiel dramatique du rôle, il y a là une netteté sans ostentation dans cette chronique d’un naufrage sans rescapés. Ces temps-ci, avec Jessica Chastain et Nicole Kidman, qui portent elles aussi la notion d’accomplissement pour une actrice à son plus haut degré d’incandescence, dans le sillage de leurs illustres aînées, Gena Rowlands ou Meryl Streep, Cate Blanchett, parmi ses consœurs anglo-saxonnes, est la plus « belle » pour aller danser. Sur son carnet de bal, on espère tourner longtemps à son bras.