Auteur de près de 15 000 clichés, Jean Gilletta est le premier photographe de la Riviera à avoir fait connaître la Côte d’Azur dans le monde entier. L’homme a tout capturé, avec une signature inimitable : paysages du littoral, villages perchés, têtes couronnées, bugadières du Paillon et jasmins de Grasse. Valérie Castera, directrice des éditions Gilletta, nous raconte l’ascension de ce reporter-photographe iconique.
Comment Jean Gilletta a-t-il débuté la photographie ?
Il est né en 1856 à Levens, un village de l’arrière-pays niçois, dans une famille d’agriculteurs. Il décide assez jeune de s’installer à Nice et, sur sa route, il croise le photographe Jean Walburg de Bray, qui avait alors quitté son studio parisien pour capturer les paysages ensoleillés du Sud. Un nouvel éden qu’il saisit en circulant dans son hippomobile, équipée d’une chambre photographique. Chacun de ses clichés, réalisés sur plaque de verre, est développé sur place. Jean Gilletta est à son tour fasciné par ce médium, et Walburg de Bray accepte de former son regard. Sujet, cadre et lumière n’auront bientôt plus de mystère pour le jeune élève. Quelques années plus tard, Walburg de Bray s’installe à Cannes et Jean Gilletta ouvre son propre atelier de photographie à Nice en 1880. Grâce à son appareil photographique solidement positionné sur son célèbre tricycle de Dion Bouton, il écumera les sentiers du littoral et les vallées profondes de l’arrière-pays pour en révéler les plus pittoresques images.
Que photographie-t-il ?
Durant la Belle Époque, la villégiature sur la Riviera prend une importance folle grâce à l’arrivée du chemin de fer, un projet porté par Napoléon III qui anticipe l’incroyable potentiel touristique que ce bout de terre, en tous points paradisiaque, représente. Dès lors, Jean Gilletta documente sans interruption cette haute société cosmopolite composée d’Anglo-saxons, Russes, Autrichiens… qui recréent ici une véritable communauté. Le photographe est témoin de la construction d’incroyables palaces comme le Carlton et Le Majestic à Cannes ou le Negresco, le Regina, l’Alhambra et le Palais de la Méditerranée à Nice. Ces établissements – qui sortent du sol aussi vite que des champignons – permettent de loger les résidents et rivalisent ainsi avec la Société des Bains de Mer de Monaco, alors dirigée par François Blanc, qui a déjà bâti le casino et différents hôtels de luxe en Principauté. Jean Gilletta rencontre les plus prestigieux architectes de son époque. Dalmas, Niermans ou Dikansky, pour ne citer qu’eux, ont chacun réalisé un grand nombre de demeures ou d’immeubles sur la bande côtière. Le photographe couvre également tous les événements mondains et sportifs : l’arrivée du président français René Coty, les courses automobiles et les régates, les tournois de tennis… Photographiant opéras, musées, théâtres, il prend le pouls de l’émergence des arts. Inspiré par les courses en montagne du chevalier Victor de Cessole, un féru d’alpinisme, Jean Gilletta grimpe à son tour sur les plus hauts sommets et contribue à lancer la mode des sports d’hiver sur la Côte d’Azur. Ses clichés sont autant appréciés des locaux, que des touristes ou des collectivités avec lesquelles il travaille régulièrement. Son entreprise fonctionne si bien que rapidement, il engage ses deux frères et leur confie le fonctionnement de l’atelier et la gestion des commandes. C’est la naissance de « Gilletta frères ». Photographe-reporter attitré de la Riviera, il témoignera sans relâche durant cinquante ans des profondes transformations de la Côte d’Azur.
Quelle est la grande idée qui l’a rendu célèbre ?
Lorsque Jean Gilletta se rend à l’Exposition internationale de Nice en 1884, la carte postale est déjà très en vogue, mais personne n’a encore eu l’idée d’éditer à grande échelle des photographies de la région ! De ce simple petit bout de carton, il en fera le meilleur ambassadeur de la Riviera. L’entreprise ouvre une librairie-papeterie sur l’artère principale de Nice, anciennement l’avenue de la Gare, aujourd’hui l’avenue Jean-Médecin, et y vend l’entièreté de la production de Jean. Les très nombreux documents photographiques, imprimés en noir et blanc tout d’abord, en couleur ensuite, véhiculent l’image d’un territoire aux incomparables panoramas, contribuant par là même à la construction du mythe de la Côte d’Azur. La force de Jean Gilletta a été de tout photographier : à la fois l’activité débordante des grandes villes, mais aussi le quotidien des hameaux de l’arrière-pays. Veillant à n’oublier personne, des petites gens, maraîchers, poissonniers…, aux illustres têtes couronnées, son regard humaniste et universaliste a tout fixé de l’histoire et de la contemporanéité de sa région. Après sa mort, en 1933, son neveu Louis prolonge son travail photographique d’une manière différente, adoptant une optique plus légère. Sa fille, Janine, épouse Gilbert Grisoni qui, avec son frère Claude, rachète l’entreprise de son beau-père. En 2000, le groupe de presse Nice-Matin reprend Gilletta, puis cède, en 2022, la société à un nouvel actionnaire, Norea, acteur majeur de l’industrie hôtelière de luxe.
Quelle est l’actualité des Éditions Gilletta ?
La maison décline le sud-est sous toutes ses formes - artistique, historique, touristique, environnementale, littéraire, gastronomique, sportive - et un département jeunesse a vu le jour en 2016. Une quinzaine de titres, rééditions incluses, sont publiés annuellement. Éditer aujourd’hui des livres en région, c’est participer d’un engagement, celui de faire vivre une histoire et de transmettre un patrimoine qui, par ailleurs, ne cesse de se réinventer. C’est un sacré défi, car il faut redonner aux lecteurs le plaisir de lire ! Pour autant, le best-seller de la maison, le livre des 106 recettes d’Hélène Barale, la plus authentique des cuisinières niçoises, s’est vendu à près de 40 000 exemplaires depuis sa première édition en 2006. Si la photographie fait partie de notre ADN, nous explorons avec un tout aussi grand bonheur l’illustration. Les talents autour de nous sont nombreux et qu’il s’agisse d’illustrer la jeunesse ou un univers adulte, notamment avec Éric Garence, ce sont toujours des aventures passionnantes que nous vivons avec nos auteurs. Il s’agit maintenant de faire évoluer nos ouvrages à de nouveaux formats de lecture, tant avec des podcasts qu’avec des supports vidéo, et pourquoi ne pas aussi s’ouvrir au roman graphique et à la BD, où l’image demeure souveraine et le texte essentiel ? Reste qu’en hommage au magnifique travail de notre fondateur, nous sommes fiers de proposer une photothèque (http://jeangilletta.com) entièrement dédiée à l’œuvre de Jean Gilletta, qui permet de réaliser des tirages personnalisés, parmi les milliers de clichés qui ont immortalisé notre lumineuse Riviera.