Jean-Paul Belmondo, Johnny Hallyday, Claude François, Salvador Dalí, Brigitte Bardot, la famille princière de Monaco… Ils ont tous été immortalisés sur la Côte d’Azur par le Foca du célèbre journaliste-reporter-photographe Charles Bébert, 88 ans désormais, dont l’exposition dans les jardins de la Villa Masséna et sur la Promenade des Anglais, « Nice d’hier… dans l’objectif de Charles Bébert », nous plonge dans l’âge d’or de la Riviera. Au lendemain de la remise de sa médaille d’Honneur et de Reconnaissance de la Ville de Nice, il répond avec joie à nos questions.
Quel a été votre parcours pour devenir photographe ?
Mon père, Albert Sebban, était photographe à Oran lorsque l'Algérie était encore colonisée par la France. Tout le monde le surnommait « Bébert le photographe ». Il était extrêmement respecté et apprécié, à tel point qu’à la fin des années 1950, il avait fait retarder de quelques minutes le début d’un match de football amical entre l’équipe du Real de Madrid et une sélection des meilleurs joueurs de l’Oranie. 40 000 personnes attendaient que mon père arrive pour prendre la photo du coup d’envoi ! Il m’a transmis sa passion dévorante pour la photographie que j’ai depuis transmise à l’un de mes fils, Bruno, devenu photographe lui aussi. J’ai commencé après avoir passé mon certificat d’études, dès l’âge de 14 ans. J’arpentais les rues et shootais sur le vif. Dès cette époque, j’y ai rencontré Charles Aznavour, Gilbert Bécaud, Richard Anthony ou encore Jacques Brel, venus en tournée. Ce dernier avait même tourné un clip pour la télévision locale dans ma Renault Floride décapotable que je conduisais, chantant en playback grâce au mange-disque que j’avais installé dans la voiture !
Quand êtes-vous arrivé à Nice ?
En 1962, après l'indépendance de l'Algérie, nous avons embarqué avec mes parents sur un bateau pour Marseille. Je n’avais que mon appareil photo Foca en poche. Comme ma tante vivait à Nice, nous sommes venus la rejoindre et nous nous y sommes installés, repartant de zéro. En 1964, j’ai fait un prêt et ouvert une boutique au 15 rue Dalpozzo, en plein centre-ville, baptisée « Chasseur d’images », qui était la reconstitution exacte de celle que nous avions avec mon père à Oran, grâce à ma mère qui avait pu retourner en Algérie après les évènements et faire revenir une partie des meubles et des objets de celle-ci. Malheureusement, mon père ne s’est pas acclimaté à ce changement de vie et il est mort quelques années plus tard… En arrivant ici, j’étais totalement ruiné, j’ai donc dû photographier des mariages, des communions, des scènes de vie dans la rue, par exemple chez le célèbre glacier Canastel à Nice, ou encore l’ambiance du carnaval niçois. Grâce à mes contacts acquis durant mes années de travail en Algérie, j’ai collaboré au fur et à mesure avec la presse et des agences photo comme Reporters Associés, Sipa Press ou Flash Press Espagne.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de vousspécialiser dans les portraits de célébrités ?
Jusque dans les années 1980, les célébrités étaient plus accessibles pour les photographes de presse, il y avait moins d’intermédiaires. Et puis, je familiarise vite avec les gens, je suis spontané. Lorsque j’ai commencé à photographier la famille princière monégasque, je laissais par exemple la Princesse Stéphanie, alors enfant, faire quelques clichés avec mon appareil photo pour s’amuser. Mon agence en Espagne vendait très bien ces photos de la famille princière au célèbre magazine ¡Hola! qui en était friand, et la famille Grimaldi, qui était ravie de la qualité de mes clichés, me faisait revenir parmi eux avec plaisir. Je les ai tous photographiés, en toutes occasions : le Prince Rainier, la Princesse Grace, le Prince Albert… lors du Gala de la Croix Rouge, du Festival International du Cirque de Monte-Carlo… J’ai aussi fait de nombreux déplacements avec l’équipe de football monégasque, l’A.S. Monaco, en immersion avec les joueurs pendant 25 ans. Le Prince Albert II m’avait même offert un maillot de l’équipe floqué à son nom, dédicacé et signé par lui-même : « À Charles Bébert. Merci pour votre fidélité à Monaco. Amitiés sportives, Albert de Monaco. » C’est grâce à mon bagou et à mon travail, mais surtout à ma fidélité, que j’ai pu avoir accès à ce monde hors du commun. Après avoir immortalisé la famille princière, j'ai photographié pendant plus de 50 ans les plus grandes stars sur la Côte d’Azur : Brigitte Bardot, Jean Gabin, Michel Platini, The Beatles, Françoise Hardy, Michael Jackson... publiés dans de nombreux journaux et magazines.
Grâce à la numérisation de vos archives par votre fils Stéphane, artiste, vos photos ont connu un nouvel essor. Éditées en livre collector par Sarah Andelman, cofondatrice du concept-store parisien Colette, et exposées au Bon Marché Rive Gauche à Paris puis au Musée Massena à Nice, elles retracent l'âge d'or de la Riviera.
Je remercie Stéphane pour ce travail, car, sans lui, tout serait parti aux oubliettes. Je suis honoré du cadeau qu’il m’a fait, j’en aurais été incapable. Il a répertorié et classé des milliers de négatifs et d’archives que j’avais heureusement conservés, car la plupart des agences avec lesquelles je collaborais à cette époque ont fermé leurs portes, emportant avec elles une grande partie de mes négatifs. Il a aussi redonné vie à ma boutique « Chasseur d’images » à Nice, qui était fermée depuis plus de 25 ans et qui est devenue notre bureau et notre lieu d’exposition. Il a aussi créé un compte Instagram @charlesbebertphotos, qui raconte notamment de nombreuses anecdotes sous l’intitulé « Une photo, une histoire… » C’est d’ailleurs en parcourant ce compte que Sarah Andelman a eu l’idée d’éditer mon livre en février 2024 à 500 exemplaires avec, en préface, un dessin original de l’artiste Ben. Il a été vendu en ligne, dans plusieurs librairies à New York, Tokyo, Berlin, Londres, Rome, mais aussi au Bon Marché Rive Gauche à Paris, où la vitrine de ma boutique « Chasseur d'images » a été reconstituée à l'identique, accompagnée d’un corner avec certains de mes clichés d’Alain Delon, Serge Gainsbourg ou Jean-Paul Belmondo, tous numérotés et signés.
À l’été 2021, nous avions également investi le Cours Saleya à Nice, exposant plus de 130 photos grand format de Jean-Paul Belmondo prises entre 1964 et 1984, sous l'égide du Musée de la Photographie Charles Nègre. J’ai été très ému de revoir mes images de Jean-Paul Belmondo, qui était devenu un ami. C’était un homme très accessible, bon vivant, et il aimait beaucoup Nice, où il avait tourné notamment « Tendre Voyou » de Jean Becker ou « Joyeuses Pâques » de Georges Lautner. On avait sympathisé très rapidement, notamment parce que son père avait les mêmes origines que le mien ; il était né à Alger. Quand il arrivait dans la région, il me donnait rendez-vous au début de son séjour. On déjeunait ensemble, il posait pour moi et m’accordait l’exclusivité de ses photos. Il me demandait juste de ne les diffuser qu’après son départ pour passer des vacances tranquilles en famille. Quand il s’en allait, il me téléphonait pour me dire : « C’est bon, tu peux balancer ! ». J’envoyais mes clichés au journal local, qui précisait le lieu où il se trouvait, et tous les photographes accouraient pour tenter de le photographier, mais il était déjà parti ! Un jour, sur RTL, en réponse à un journaliste qui lui demandait s’il était heureux de venir au Festival de Cannes, il avait répondu : « Oui, surtout quand je vois mon ami Bébert ! ».
Parmi les autres célébrités qui ont été des amis intimes, je citerais également Claude François, dont j’ai été l’attaché de presse sur la Côte d’Azur pendant dix ans. C’était vraiment un chic type ! Je me souviens d’un disque qu’il m’avait dédicacé : « À mon frère, Charles Bébert, qui me fait tellement rire ! ». Lorsqu’il est décédé en 1978, j’ai évidemment refusé de le photographier sur son lit de mort. Paris Match m’avait proposé 10 millions de francs… J’avais de nombreux amis parmi les vedettes de l’époque qui venaient même chez moi à Nice me rendre visite : Nicoletta, Jane Manson, Karen Cheryl… J’avais aussi beaucoup d’affection pour Serge Gainsbourg et Jane Birkin. Le magazine Vanity Fair a d’ailleurs récemment publié en couleur une de mes archives inédites du couple que j’avais pris en photo en 1972 avec leur bull-terrier Nana, sur le ponton de la plage Neptune, juste en face de l’hôtel Negresco.
Votre loyauté a été l’un de vos plus grands atouts dans le métier…
Effectivement, je n’ai jamais été un paparazzo. Cela me rappelle le jour où j’ai croisé Mick Jagger à l’aéroport de Nice avec une femme qui n’était pas sa fiancée… Il m’a demandé de ne pas faire de photos avec elle, pour ne pas créer de confusion. J’ai accepté en lui demandant en retour de le photographier seul. Avant qu’il ne parte, je lui ai donné ma carte de visite. Quelques mois plus tard, lorsqu’il s’est marié à Saint-Tropez avec Bianca Perez Morena, j’ai fait passer ma carte à son manager, en lui demandant de la remettre au chanteur des Rolling Stones. J’ai ainsi été le seul photographe français à être autorisé à entrer dans l'église parmi 250 confrères !
En plus d’être loyal, il fallait aussi avoir de la chance… C’est une qualité dans le métier ! Le jour où l’on m’avait envoyé au casse-pipe pour photographier Maria Callas, attendue à l’aéroport de Nice et connue pour frapper les photographes indiscrets, je suis resté calme. Je portais un smoking et un nœud papillon, car j’allais ensuite au Gala de la Croix Rouge à Monaco. Lorsqu’elle est arrivée, suivie par l’armateur grec Aristote Onassis, elle m’a vu et m’a souri, me confondant avec un touriste, avec mon Polaroïd autour du cou. La photo fut impeccable !
J’ai aussi de bons souvenirs en tant que photographe de plateaux de cinéma, notamment aux Studios de la Victorine. J’ai un cliché très spontané d’Alain Delon lors du tournage de « Mélodie en sous-sol» d’Alain Verneuil ou d’Audrey Hepburn pendant le tournage de « Voyage à deux ». J’ai photographié beaucoup de grandes actrices, comme Romy Schneider, qui n’aimait pas trop les photographes. En voyant le résultat de l’une de mes images prises au Festival de Cannes, elle m’a avoué que c’était l’une des plus belles photos qu’on lui ait faites et m’en a dédicacé un exemplaire !
Au milieu des années 1960, et durant six ans, vous avez même créé une émission télévisée quotidienne sur Télé Monte-Carlo !
Oui, ça s’appelait « Quoi de neuf sur la Côte selon Charles Bébert ». On y diffusait chaque jour mes clichés capturés sur la Riviera, livrés et développés le jour même ! Des petits exploits avant l’ère du numérique… Au début de cette aventure, je me mettais en bas de la moyenne corniche, à Nice, sur la route qui conduit à Monaco, et j’interpelais les voitures qui arboraient des plaques monégasques. Je chargeais alors le conducteur de remettre mes photos à une personne de la chaîne qui attendait à l’entrée de la Principauté, pour qu’elles arrivent à temps ! Après deux mois, voyant le succès du programme, la chaîne m’a mis un chauffeur à disposition qui venait tous les jours à Nice, vers 17 heures, chercher l’enveloppe. J’ai fait ça aussi de nombreuses fois à l’aéroport de Nice pour envoyer mes clichés en Espagne et pour devancer mes concurrents. Je repérais un voyageur sympa à l’enregistrement d’un vol Nice-Madrid et lui confiais mes pellicules en lui expliquant ce que je voulais envoyer. À l’arrivée, une personne de l’agence de presse espagnole, pour qui je travaillais, les récupérait auprès du passager, et publiait mes clichés en un temps record ! En général, j’avais plus de 24 heures d’avance sur tous les photographes. Pour le mariage de Caroline de Monaco, 18 pages de mes photos en couleurs ont été publiées dans le magazine ¡Hola!
Et la politique ?
J’ai beaucoup photographié Jacques Médecin, Maire de Nice, que j’ai suivi durant sa première campagne et avec lequel j’ai travaillé ensuite pendant des années. Je suis même devenu conseiller municipal pendant cinq ans dans les années 1990, durant les mandats de Jacques Médecin, Honoré Bailet et Jean-Paul Baréty. J’ai même failli être adjoint ! Aujourd’hui, je continue d’arpenter les stades de football avec mon appareil photo. Depuis 2021, j’offre mes clichés au Téléthon, à la tombola Stars-Solidaires. En quatre éditions, elles ont permis de rapporter 80 000€ et ça me rend très heureux ! Je réponds toujours présent lorsque je suis sollicité par des associations pour des ventes aux enchères, comme pour Pallia-Aide, ou lors de la vente organisée à l’hôtel Negresco, pour la Fondation Frédéric Gaillanne.
Quels sont vos projets ?
La galerie « Chasseur d’images, Bébert & fils », est désormais rouverte, et nous disposons de formules d’expositions sur mesure. Parmi les projets en cours, pour 2025, il y a un deuxième livre de photos, qui sera accompagné des anecdotes des clichés, sur le même principe que ce que mon fils Stéphane fait sur Instagram avec « Une photo, une histoire... ». Il est également en train de réaliser, avec l’artiste Monsieur Poli, un documentaire, « Dans les yeux de mon père », qui raconte l'histoire de notre famille de photographes, la relation père-fils, mais aussi l'âge d'or de la French Riviera dans les années 1960 et 1970 et le rôle de la photographie argentique à cette époque. Il interviewe des « filles et fils de...» célébrités que j’ai photographiées, livrant leurs impressions en découvrant pour la première fois les photos de leurs parents. Il travaille enfin sur un spectacle au théâtre, déclinaison du documentaire. L’aventure continue plus que jamais !
Exposition « Nice d'hier... dans l'objectif de Charles Bébert », jusqu'au 20 janvier dans les jardins de la Villa Masséna et sur la Promenade des Anglais à Nice.
www.instagram.com/charlesbebertphotos
Photo cover : Alain Delon, film Mélodie en sous-sol, Cannes 1963 - Charles Bébert - Collection « Chasseur d'images »