À 42 ans, le Niçois, quadruple recordman et double champion du monde d’apnée en poids constant (descente et remontée en palmant) est devenu explorateur, conférencier, et écrivain, depuis son arrêt de la compétition en 2015 à la suite d’une syncope alors qu’il tentait de battre son cinquième record mondial à 129 mètres. Une invraisemblable négligence d'organisation l'emmena à 139 m. Il nous partage son quotidien à Nice et à Roubion, dans l’arrière-pays niçois, où il possède un pied-à-terre.
Que faites-vous en ce moment ?
Je commence l’écriture d’un livre sur l’histoire de l’apnéiste la plus décorée de la planète, la Russe Natalia Molchanova, disparue en 2015, un mois avant ma syncope, lors d’une plongée au large de l'île espagnole de Formentera. On n’a jamais retrouvé son corps. Cette athlète hors du commun décédée à 53 ans avait obtenu 41 records mondiaux de plongée en apnée et 23 titres de championne du monde, alors qu’elle avait débuté l’apnée à 40ans. Une légende ! Je suis en train d’enquêter sur son destin singulier avec l’aide de son fils Alexey, également champion d’apnée, que je connais bien, car nous étions rivaux et amis. Natalia était très maternelle avec moi. Le fait que mère et fils aient été champions au même moment est unique dans l’histoire du sport.
Continuez-vous à faire des films ?
J’ai mis la réalisation en pause après avoir produit des courts métrages artistiques, poétiques et engagés en apnée avec la réalisatrice et apnéiste Julie Gautier, notamment « Free Fall », « Narcose », le clip Runnin’ de Beyoncé, ou « One breath around the world ». Cette dernière vidéo, qui a dépassé les 33 millions de vues, a été tournée pendant 8 mois dans 8 destinations insolites autour du monde. Elle me montre marchant sur la structure sous-marine de Yonaguni au Japon, dansant avec des cachalots à l'île Maurice, et nageant dans les eaux glaciales du lac Päijänne en Finlande. Mais aujourd’hui le monde est saturé d’images, je ne veux pas contribuer davantage au vacarme visuel. Je préfère proposer de la lecture. De plus, les tournages génèrent beaucoup de stress, alors qu’écrire est plus paisible. J’aspire à plus de simplicité. J’ai déjà édité plusieurs livres sur ma carrière : « Profondeurs » en 2014, « À plein souffle », avec les photographies de Franck Séguin en 2019, ou encore « Nature aquatique » en 2022. Cette fois, pour raconter l’histoire de Natalia Molchanova, je suis le seul auteur.

Comment aviez-vous découvert la plongée ?
Je suis né à Nice de parents très sportifs et randonneurs. Ils m’emmenaient avec eux dans notre sublime Mercantour, parc national mythique des Alpes. J’y ai découvert le goût de l’effort et de la performance. Nous ne voyagions pas, alors je rêvais : j’étais passionné d’exploration, d’aventures et d’astronomie. Je lisais Tintin, Jules Verne, et regardais toutes les compétitions sportives à la télévision. Un jour, à 14 ans, j’ai fait un concours d’apnée avec un camarade par jeu, et j’ai perdu ! Vexé, je me suis entraîné sans relâche dans ma chambre. J’ai adoré ces premières sensations. Puis je me suis documenté, j’ai visionné un reportage d’Envoyé Spécial sur l’apnéiste italien Umberto Pelizzari, et je suis rapidement arrivé à 4 minutes en apnée statique, alors que le record était de 6 minutes ! Sans entraînement, on ne peut normalement pas retenir son souffle plus d'une minute. Je me suis dit que j’avais des capacités, alors j’ai décidé de plonger avec mon meilleur ami dans la baie des Anges, à Nice, puis j’ai cherché un club d’apnée. Par chance, l’un des meilleurs clubs du monde se situait à quelques pas, à Villefranche-sur-Mer. Avec ses tombants de plus de 200 mètres de profondeur, c’est l’eldorado des apnéistes. Claude Chapuis, recordman d’apnée statique, était le dirigeant du club, et organisateur en 1996 des premiers championnats du monde d’apnée. À ses côtés, j’ai appris l’esprit d’équipe, l’humilité, la patience, la prudence. J’ai progressé au contact de Loïc Leferme (5 fois recordman du monde en No-Limits), qui deviendra mon guide et ami. Il est malheureusement décédé lors d’un entraînement. À 19 ans, je suis devenu champion de France d’apnée en poids constant, et le plus jeune recordman mondial de l’histoire l’année suivante à -87 mètres. Je battais mon record en 2015 à -126 mètres, à Chypre. En apnée statique, mon record est de 7min 42.
Au départ, c’est la performance qui m’a séduit, pouvoir réaliser l’impensable. La profondeur, l'exploration et l'aventure étaient également des aspects primordiaux. L’amour pour la mer est venu ensuite, lorsque j’ai voyagé pour les compétitions et la réalisation de mes films. L’apnée m’a ouvert les portes de la planète. J’ai eu un coup de foudre pour Hawaï dans le Pacifique, où le monde sous la surface est d’une richesse incroyable, et au Mexique, là où l’eau est translucide. Je n’avais plus l’impression d’être sous l’eau, mais dans une réalité spatiale. De ces voyages, je garde en mémoire toutes mes rencontres magiques avec les animaux marins : requins, tortues, cachalots… J’y ai aussi constaté la fragilité du vivant, les conséquences néfastes de l’activité humaine. Avec plus de 10 000 plongées au compteur, j’ai surtout fait un chemin introspectif, car plonger en apnée requiert une maîtrise de soi hors du commun. Plonger est avant tout un plongeon à l’intérieur de soi.
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Quels sont les effets de l’apnée ?
Le neurologue belge Steven Laureys a étudié mon cerveau en apnée statique durant 7min 15, mesuré par un électroencéphalogramme. Il a observé une augmentation de l’activité des connexions cérébrales, qui a des similitudes avec les modifications induites par la méditation. L’apnée en profondeur me permet d’accéder à l’état de calme, de lâcher-prise et d’acceptation, tout en étant dans une écoute suprême de mon corps. C’est aussi là que j’accède aux pouvoirs rares du moment présent, et que je me reconnecte à la nature. J’atteins un état de grâce. Pour les apnées profondes, je remplis mes poumons de près de 10 litres d’air (le double d’un homme de mon âge et de ma corpulence) grâce à la technique respiratoire de la carpe. Au-delà de 80 mètres, le volume des poumons diminue, je deviens plus lourd, happé par le fond, je suis en chute libre. Un pur moment de bonheur où j’ai l’impression de voler, de planer. Je suis relié à un câble, car, sinon le corps continuerait de couler. Le rythme cardiaque ralentit, il atteint 20 battements par minute. L'eau est glacée. La pression du poids de l’eau est énorme. Le sang quitte les extrémités du corps pour alimenter le cœur et le cerveau. On ne voit que des nuances de bleus, une expérience unique au monde, et on voyage à l’intérieur de soi, en pleine conscience du moment présent, pour ne pas paniquer dans cet environnement hostile. Lorsque je dois remonter, je me fais violence pour sortir de cet état de lâcher-prise et je palme pour remonter. C’est à ce moment que se produit la narcose, l’ivresse des profondeurs, lorsque l’azote se dissout dans le corps. Des pensées et des troubles du comportement arrivent, parfois anxiogènes. Il faut absolument rester serein, pour ne pas perdre le contrôle de soi. Je ne reverrai la lumière de la surface que lors des derniers mètres, lorsque j’apercevrai les plongeurs de sécurité, et expirerai enfin l’air avant de pouvoir inspirer à nouveau.
Plonger en apnée ne nécessite pas une démarche si extrême. Au sein du club de plongée que j’ai créé à Villefranche-sur-Mer, la Bluenery Academy, je partage les pouvoirs thérapeutiques du souffle et de l’apnée pour apprendre à mieux respirer, à mieux vivre. Ce sport m’a enseigné les superpouvoirs de la respiration, seule fonction vitale dont on peut prendre le contrôle. En agissant sur son rythme, sa profondeur, on peut gérer nos émotions, nos états de conscience, notre concentration, notre calme… Dans ce monde de stress permanent, ce savoir est précieux. Je suis en train de créer une association pour élargir la pratique à la gestion de l’anxiété, mettre en place des protocoles de recherche, des exercices de respiration et d’apnée dans le secteur médical et dans l’entreprise.

Quel est votre quotidien sur la Riviera ?
J’adore vivre à Nice, car c’est un lieu qui allie mes passions pour la mer et la montagne. C’est assez unique au monde pour une ville d’être à la convergence de lieux naturels aux reliefs aussi incroyables. J’aime cette verticalité dans les extrêmes, mes terrains de jeu favoris où je puise une énergie infinie. L’apnée au quotidien est devenue mon hygiène de vie pour une meilleure santé physique et mentale. Je fais au moins deux heures de sport par jour, après une séance de yoga au réveil. Je nage en mer toute l’année, même dans l’eau froide en maillot de bain l’hiver. J’aime aller à la plage de la Réserve à Nice, dont le décor est resté authentique. L’hiver, l’eau est à 13 degrés, ça met le corps dans un état de choc et c’est super pour la circulation sanguine ! J’effectue des exercices d’apnée dans mon club le CIPA à Nice, et je plonge toujours en profondeur dans les plus beaux spots de plongée de la Côte d’Azur comme la pointe de la Cuisse dans la Rade de Villefranche, les jolis tombants autour de l’île de Saint Honorat au large de Cannes, ou encore au Cap Estel à Èze-sur-Mer. Je fais aussi beaucoup de randonnées en montagne l’été autour de ma maison secondaire qui se trouve à Roubion, dans l’arrière-pays niçois, et je skie l’hiver à Valberg, non loin de là. Je lis beaucoup, c’est une façon de méditer. J’aime passer du temps en famille, avec ma fille de 13 ans, et ma compagne attend un petit garçon pour le mois de juillet. Mon mode vie est très sain, et c’est un vrai plaisir de se faire du bien : je mange de tout, si possible biologique et local, et je m’accorde un verre de vin rouge par semaine. J’adore danser sur de la musique électronique, comme lors du festival La Crème qui se déroule chaque été à Villefranche-sur-Mer, ou lors du festival Crossover. Mes endroits favoris à Nice ? Le Café du cycliste et la librairie Massena !

Cover : Franck Seguin
