Ces créateurs de mode réinventent la Riviera

Les célèbres marques de mode Jacquemus, American Vintage ou encore Sessùn ont vu le jour sur la Côte d’Azur et font rayonner leurs esthétismes solaires, et dès lors la Riviera française, dans le monde entier. Dans leur sillage, trois pépites à suivre : Studio Clandestin, Occidente et Dédés. Portraits.

Studio Clandestin, créé à Peymeinade en 2017 par le trentenaire Jonathan Canuti, enfant d’horticulteurs de Vallauris devenu responsable de stratégie commerciale pour une grande enseigne de prêt-à-porter, refuse d’emblée la fast-fashion, la mode étant l’une des industries les plus polluantes au monde. Il mise sur l’upcycling, inspiré par le mantra de Lavoisier, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Il récupère des pièces neuves destinées à la destruction et s’entoure de mains de fée de la région pour les transformer en créations : Elise Peleïa Botta, couturière formée chez Givenchy, Laurène Jeannette, céramiste de Vallauris, Caroline Simon, brodeuse niçoise, mais aussi Camille, Ludivine et Sasha. Ensemble, ils réinventent un dressing élégant, féminin et masculin, autour de basiques déstructurés et du style tailoring. « Mes collections sont des déclarations d’amour à ceux qui ont sublimé artistiquement la Côte d’Azur, loin des stéréotypes. Mon premier défilé avait lieu au MAMAC, le musée d’art moderne de Nice. Il rendait hommage au mouvement contemporain de l’École de Nice et aux métiers d’art. J’avais par exemple créé une tenue intégrale en porcelaine de Vallauris dont les pièces étaient coupées à la main à l’emporte-pièce. Le deuxième défilé célébrait le travail d’Yves Klein sur le corps des femmes. Les suivants étaient dédiés à ma famille d’horticulteurs, et à tous ceux qui œuvrent pour magnifier le patrimoine vivant du sud. Avec le temps, j’ai pu réaliser des collections de plus en plus techniques et créatives. J’ai eu accès à des dead-stocks de tissus nobles comme des rouleaux de tissu en soie du groupe LVMH avec lesquels je me suis éclaté à créer des robes d’art qui ont eu un succès fou ! Aujourd’hui, je vis tout juste de mon activité - on vend entre une quarantaine et une centaine de pièces par mois - et je prouve que l’on peut réussir dans la mode, loin de Paris, mais je suis très entouré. Pour les défilés, je n'emploie pas de mannequins, mais une cinquantaine d’amis bénévoles, ma famille clandestine, qui croient en mon projet engagé. Je leur dédie d’ailleurs toutes les pièces floquées de « L’amour, l’amour, l’amour », référence au son de Mouloudji, produites à chaque collection. J’ai aussi eu la chance d’être soutenu dès le départ par les Galeries Lafayette de Nice et de Paris, qui m’ont attribué des espaces de vente, par la plateforme écoresponsable Reiner, et d’avoir intégré un mentorat à Jakarta qui me permet d’aller régulièrement en Indonésie pour échanger des savoir-faire. » La suite ? « Le prochain défilé de prêt-à-porter célébrera la joie de fêter nos cinq ans d’existence, tandis que le suivant sera couture, dédié à ma ville, Vallauris, et aux inspirants Jean Cocteau et Jean Marais, artistes iconiques de la Riviera. »

© Courtesy of Studio Clandestin

 

Cette bouffée d’air frais culturelle et authentique apportée à la mode dans le sud de la France est valorisée, pour les plus chanceux, par le fonds de dotation Maison Mode Méditerranée qui soutient, grâce à de prestigieux partenaires tels que Chanel, LVMH, Fragonard ou Gas bijoux, des projets mode, culturels et scientifiques portés par des créateurs venus du bassin méditerranéen. Depuis la fondation en 1988 de cette association par Maryline Bellieud Vigouroux, environ 700 créateurs ont été aidés financièrement par la Maison Mode Méditerranée, grâce à des bourses obtenues par exemple par les excellents Amaury Darras, ébéniste d’art au service de la mode, ou Emma Bruschi, créatrice de bijoux délicats en paille, mais aussi grâce au prix Open My Med, remporté en 2016 par la présidente actuelle du fonds, Jina Luciani, pour sa marque, Occidente. Jina, née à Beyrouth, mais qui a grandi à Nice, a fait ses armes dans la lingerie et le homewear entre Paris et New York, travaillant pour Victoria’s Secret ou Marks & Spencer. En 2006, elle crée Occidente, deux ans après sa réinstallation dans le sud. Dans son atelier du haut pays grassois, à Peymeinade, elle imagine et confectionne sur place (ou à Marseille pour les grandes productions), avec ses 11 collaborateurs, des lignes de lingerie douce, de yogawear et de vêtements d’intérieur biologiques, purs pour la peau. « Je m’inspire de la végétation qui m’entoure, de la douceur de vivre azuréenne et de la femme occidentale qui aspire au bien-être, à l’art de vivre, et à l’équilibre avec la nature. Créer Occidente était un vrai challenge, car en 2006 personne ne croyait au développement du textile biologique. Dénicher du coton bio en Europe m’a pris du temps, mais à la lumière du plaidoyer actuel pour la préservation de l’environnement, c’est une grande fierté d’y avoir cru. » Parmi ceux ayant misé sur la griffe de Jina, Le Bon Marché Rive Gauche à Paris, qui lui avait dédié un pop-up exceptionnel. Depuis, elle a été nommée au rang de Maître artisan d’Art en 2022, la plus haute distinction dans le domaine de l’artisanat. Il y a quelques semaines, son défilé-spectacle immersif, « Le nombre d’or », en collaboration avec le collectif d’art, de design et de culture Fair, qu’elle a cocréé avec la plasticienne Stéphanie Hamel-Grain, avait lieu dans les vestiges des thermes romains du musée archéologique de Nice. Un moment divin et hors du temps.

 

© Franck Follet

Parmi les fortes personnalités de la mode made in Riviera qui utilisent des matières endémiques, un duo d’amis dénote avec leur marque de vêtements et d’accessoires pour femmes, Dédés, créée en 2020, ode aux paradoxes de la méditerranée. Angélique, directrice stratégique, et Jean, directeur artistique, tous deux 32 ans, avaient envie de revendiquer une griffe de slow fashion qui transforme le cliché de la cagole effrontée. « Notre marque doit rendre ce paradigme humain et joli. On veut assumer l’insolence et l’effervescence de la Côte, mais aussi la rusticité de l’arrière-pays, tout en représentant la société actuelle. » Jean crée le design, la production et recherche les matières premières en circuit court. Il se fournit chez Laine Rebelle qui trie la laine dans plusieurs élevages de brebis maralpines, la file, la tricote, mais aussi chez un producteur de laine mérinos d’Arles. Il sélectionne également du lin français, du coton biologique, du Lyocell, des plastiques recyclés et depuis peu, de l’upcycling de maisons de couture. Aline, costumière et modéliste, s’occupe du coupé-cousu, tandis que Camille, tricoteuse, travaille les pièces les plus fines. « Nos modèles sont en précommande pour éviter la surconsommation. » Parmi les best-sellers de la marque, qui a déjà sorti une dizaine de micro-collections, la robe asymétrique et fendue Boo, qui évoque un cœur brisé retourné faisant résilience, et le top Ren, inspiré du film « La belle verte » en hommage au néo ruralisme et au retour aux sources. Le coton utilisé pour le produire est extrêmement fin et tricoté sur une machine vintage, pour lui donner un aspect rustique dévoilant la peau. Le top Link, 100 % lin, inspiré de côtes de maille à l’allure molle, légère et confortable, évoque quant à lui une armure d’autodéfense pour les femmes, symbolisant la lutte contre les violences qui leur sont faites. Aujourd’hui, Dédés se vend en ligne sur leur site internet et les sites de vente indépendants Lunch concept et Apocene, mais ne fait pas encore de bénéfice, même s’il se maintient. Le duo cherche des partenaires, et un lieu à Nice, où ils pourraient installer leur atelier et leur showroom. Parmi les dernières inspirations de Jean, on retrouve des pièces en maille Georgette de soie, un maillot de dead-stock percé de perles de verre de Murano en forme de cerise, et il est en train de créer un bijou en résine ornementale surréaliste, revisitant l’iconique tissu des indiennes de Marseille. « Oh fan ! »

© Dédés

Couv photo : © Cynthia Mai, créatrice Emma Bruschi

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