Le Palais Bulles : folie architecturale de la Riviera

Conçu par l’architecte « habitologue » hongrois Antti Lovag à la demande de l’industriel et mécène Pierre Bernard, le Palais Bulles, chef-d’œuvre d’architecture organique à Théoule-sur-Mer, est devenu la propriété du célèbre couturier et collectionneur Pierre Cardin en 1992. Jean-Pascal Hesse, Directeur de la communication du Groupe Pierre Cardin, nous dévoile l’histoire et le devenir de ce lieu hors du commun, dont la valeur atteindrait 350 millions d’euros.

Comme le relate Jean-Pascal Hesse dans son ouvrage « Le Palais Bulles de Pierre Cardin » (Assouline, 2012), qui retrace l'histoire de cette villa singulière, le couturier décrivait cette œuvre architecturale en ces termes : « Posée comme une poterie dans le paysage, cette conception architecturale me fascinait. Le Palais Bulles est à la fois nouveau et primitif, entre le nid d’insectes, de reptiles ou d’abeilles, et comme un corps humain avec ses organes. C’est le corps d’une femme ; les bulles, ce sont ses seins ; les couloirs, ses boyaux. Tout y est absolument sensuel. Pour moi, la bulle, le cercle, le rond sont des formes parfaites, car infinies. La bulle organique d’Antti Lovag m’a séduit, car elle est à la fois l’habitat fœtal de l’enfant, la grotte de l’homme préhistorique et, en même temps, elle évoque la modernité des satellites et de l’espace ».

© Pierre Cardin Evolution

À l’origine, le génie d’Antti Lovag

 

Derrière cette architecture lunaire si singulière se cache Antti Lovag, un architecte anticonformiste né en Hongrie et ayant grandi à Stockholm. Jean-Pascal Hesse raconte : « Pendant la guerre, il troque son patronyme Antal Korski pour "Lovag", qui signifie "chevalier", puis sera fait prisonnier par l’armée soviétique. Repéré comme juif, il subira les contraintes d’un régime peu tolérant. Arrivé en France, il étudie aux Beaux-Arts à Paris, qu’il abandonne, mais effectue ses premiers essais d’architecture, qu’il souhaite à l’opposé des grandes tendances urbanistiques de cette époque de reconstruction. Il songe à une habitation troglodyte, retour à l’habitat ancestral, créé des bassins de piscine à débordement, des cuisines ouvertes… avec une seule règle : aucun angle droit, qui freine la circulation des corps, des idées, des sentiments ! » Tout doit être rond, sans mur, sans tuile, cette architecture organique doit épouser la liberté, s’inspirer de la nature, et doit suivre les mouvements et la morphologie de l’homme.

Dans les années 1960, en pleine époque des Trente Glorieuses, Antti Lovag s’installe sur la Côte d’Azur, qui attire les happy fews susceptibles d’aimer son art. Il y rencontre l’illustre architecte Jacques Couëlle, qui lui ouvre les portes de son entreprise, et qui développe des maisons-sculptures en osmose avec l’environnement. Antti Lovag participera notamment en 1963 à la réalisation de la résidence de luxe de Port-La-Galère à Théoule-sur-Mer composée de 400 appartements en grappes, ainsi qu’à celle de l’hôtel Cala di Volpe situé sur la Costa Smeralda, en Sardaigne.

© Pierre Cardin Evolution

En 1968, Antti Lovag décide de voler de ses propres ailes. Il rencontre l’entrepreneur Antoine Gaudet pour lequel il conçoit une première maison bulle : la Maison Gaudet (ou Maison du Rouréou) à Tourrette-Levens, dans l’arrière-pays niçois. Entièrement intégrée à son environnement naturel, cette dernière a connu un agrandissement continu pendant trente ans. Elle est aujourd’hui classée au patrimoine des monuments historiques. En 1971, il crée une nouvelle maison bulle pour Pierre Bernard à Port-La-Galère, à Théoule-sur-Mer, entre Cannes et Saint-Raphaël. L’industriel cherchait à construire une maison de vacances sans angle droit. « Très tôt, Pierre Cardin a eu envie de s’associer avec Pierre Bernard pour commercialiser ces habitations particulières. Si le projet n’a pas vu le jour tout de suite, l’intérêt du couturier pour ce lieu est resté vif durant des années », déclare Jean-Pascal Hesse.

En 1984, Antti Lovag dévoile sa seconde création pour la famille Bernard : une œuvre architecturale de 400 mètres carrés, composée de bulles de béton ocre et parsemée d'hublots. Perchée sur les hauteurs de l'Esterel, elle offre une vue imprenable sur la Méditerranée et les îles de Lérins. Jean-Pascal Hesse se souvient : « La presse s’est rapidement emparée du chantier. On évoquait la science-fiction, une architecture de soucoupe volante, et inspirée par Alexandre Jodorowsky ! Sur six niveaux, la maison est antisismique, en métal, et en mousse de polyuréthane, recouverte de fibre de verre, enduite de peinture pour coque de bateaux. Elle reçoit la lumière du jour par ses mille hublots. Tout n’y est que dômes, voûtes, cylindres, circonvolutions, qui s’inscrivent dans une démarche de visibilité et d’invisibilité, en symbiose avec la mer, la végétation et l’eau, laissant libre cours à l’imagination. Pierre Bernard fait agrandir le lieu sans cesse de 1979 à 1988. Anti Lovag crée une vaste salle de réception largement ouverte sur la piscine, dont le fond de verre permet de voir à l’intérieur de certaines chambres et de leurs salles de bain. Il conçoit un immense appartement et neuf suites originales. La plupart des meubles sont intégrés aux pièces et mobiles, à l’instar de la grande table ronde qui se déplace de la banquette circulaire du coin repas vers la cuisine pour faciliter le service, ou des bibliothèques ondulantes »

Le décès de Pierre Bernard, survenu avant l'achèvement des travaux, ne met pas un terme à ce projet architectural unique. C'est le couturier Pierre Cardin qui, en acquérant cette œuvre en 1992,lui offre un nouveau destin et la rebaptise le « Palais Bulles ».

© Pierre Cardin Evolution

 

Pierre Cardin en fait son coin de paradis

 

Celui qui révolutionna la mode avec ses hommages à la conquête spatiale, notamment la robe bulle et la robe satellite, est fasciné par son vaisseau spatial architectural qui devient son refuge favori. Jean-Pascal Hesse : « Dès son acquisition, le Palais Bulles devient son terrain de jeu. Il lance les nouveaux agrandissements prévus, et l’habille avec des meubles et des objets d’art pour créer un conservatoire de la modernité. En 1970, il crée le studio "Environnement" dans ses ateliers où il produit des bijoux, des papiers peints, du linge de maison, des meubles et les luminaires en édition limitée qui feront vivre le Palais Bulles : on y retrouve du métal et du plexiglas, marqueurs forts de cette période, qu’il disposera dans sa construction sculpture-musée de près de 2000 m2 incluant les coursives, à la suite de nouveaux agrandissements ».

Le lieu dispose dorénavant de dix suites, d’une salle de réception qui peut accueillir 350 personnes assises, et d’un salon qui s’ouvre sur une palmeraie de 8 500 m2 avec un panorama à 360° et des piscines à débordement. Jean-Pascal Hesse : « Comme il était impossible de suspendre un tableau sur un mur arrondi, Pierre Cardin fait peindre des fresques murales. Dans le grand salon, sur le sol en marbre de Téhéran, des fleurs en bois ou en verre soufflé côtoient des canapés-racines, des fauteuils aux formes inédites, et des meubles en laque dessinés par Cardin lui-même dans les années 1970. Parmi les objets de décoration, on trouve des œufs de bronze de Fontana, des assiettes signées Picasso offertes par Claude Pompidou, des fauteuils de Rancillac ou du designer Mario Sabo, des commodes en bois aggloméré et plastique de Rayond Loewy, des sculptures de Dario Villalba. Les lits sont ronds, les chaises ressemblent à des trônes, les sièges sont couverts de moquette. Certains, tels que les fauteuils Ovni, ou certaines méridiennes, ont été conçus par Pierre Cardin. Le fauteuil Anneaux est l’œuvre de Maria Pergay, les tables celle de Knoll, des sièges sont de Roger Tallon… Serge Manzon a créé des tables, une lampe-balance, un téléviseur-mobile, ou une chaise girafe. C’est à Piotr Kowalski que l’on doit les sphères de couleurs qui enchantent le lieu. Et au peintre Frans Krajcberg le relief rouge de la chambre de Pierre Cardin. Le couturier fait également appel à des artistes et des concepteurs, tels que Patrice Breteau, pour la première suite bleue et son environnement cosmique, Daniel You, qui va créer une surprenante envolée où un ange chevauche une moto, ou Dominique Maraval, dont les murs chargés de poussières ocres rappellent les collines avoisinantes. François Chauvin, Jérôme Tisserand ou Gérard Le Cloarec, eux, choisiront l’abstraction ».

© Pierre Cardin Evolution

Pierre Cardin, qui rêvait de faire de ce lieu un carrefour des arts et un lieu de rencontres, avait même fait édifier un amphithéâtre de 500 places à ciel ouvert pour accueillir des spectacles en plein air et des concerts. Dès les années 2000, il y organise chaque été, en plus de la période faste du Festival de Cannes où de nombreuses stars y défilent (Jérémy Irons, Kristin Scott Thomas, Arnold Schwarzenegger…),un festival très éclectique de musique et de théâtre.

Jean-Pascal Hesse : « Aujourd’hui, même après la mort de Pierre Cardin en 2020, le Palais Bulles appartient toujours au Groupe, et nous continuons de le privatiser pour des évènements ou shootings privés. Citons parmi les derniers évènements, le défilé Dior Croisière 2016 de Raf Simons, le tournage de clips de Lenny Kravitz ou de Travis Scott, ou encore le lancement d’une collection de haute joaillerie de la Maison Van Cleef & Arpels… Depuis 2022, le petit neveu de Pierre Cardin, Rodrigo Cardin, y organise également "Les prix Bulles Pierre Cardin", destinés à récompenser des projets et des personnalités qui œuvrent en faveur de l’écologie ». Un noble plaidoyer en faveur de l'avenir, dans un cadre futuriste idéal.

© Pierre Cardin Evolution

 

 

www.palaisbulles.com

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