L’envol d’Eva Rami

Elle est niçoise et a remporté le Molière du meilleur « Seul(e) en scène » en mai dernier, aux Folies Bergères à Paris. Eva Rami, dont la famille rêvait pour elle d’une carrière d’avocate, a gravi les échelons du métier de comédienne à une vitesse fulgurante. Elle revient sur son parcours de combattante, avec humour, poésie, et vulnérabilité.

Enfant, elle a vécu dans l’école dirigée par son père à Aspremont, dans l’arrière-pays niçois, et où des cours d’initiation au théâtre étaient proposés. « Je passais ma journée à trépigner d’impatience en regardant les aiguilles de l’horloge. ». Elle y découvre de nouvelles sensations : faire rire, émouvoir, avoir l’écoute de l’autre et ne plus être soi : « Sortir de soi, ça fait un bien fou. Aujourd’hui encore, quand je joue des personnages, je me sens capable de tout, je peux crier, hurler, être la pire des pires, je peux tuer, mourir, et puis renaître… C’est une sacrée catharsis… Ce métier m’a littéralement sauvé. C’est merveilleux de pouvoir sublimer et transcender ses peines. C’est un exutoire, une forme de thérapie et d’aide à la construction de soi. »

 

De la petite fille de sept ans qui faisait rire sa famille et ses amis en imitant Elie Kakou - son idole - à la comédienne engagée d’aujourd’hui, il y a un chemin de neuf ans de formation théâtrale, après quelques années d’études à la fac de droit et de philosophie pour « faire plaisir à papa ». Elle entre ensuite au Conservatoire de Nice, puis à l’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris, dirigée par Jean-Claude Cotillard. Elle collabore avec différentes troupes : le Collectif 8, la Compagnie Maelstrom, elle est mise en scène par Irina Brook et travaille pour le collectif La Machine à Nice, avec lequel elle joue quatre pièces mises en scène par Félicien Chauveau. Puis, elle intègre le Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. C’est là qu’elle débute l’écriture de son premier seul en scène « Vole ! » : « Je savais qu’il fallait que j’écrive pour moi-même, car le téléphone n’allait pas sonner seul. Si au départ je pensais écrire un stand-up, je me suis vite rendu compte en écrivant que ça n’allait pas être que drôle, mais aussi émouvant et poétique. » La pièce est une autofiction sur la thématique de l’envol d’une femme avec en rôle principal son avatar, Elsa Ravi, entourée d’une pléiade de personnages qui jalonnent sa vie et qu’elle incarne, dont ses parents. « Quand je l’ai présentée en 2014 à la sortie du Théâtre National, Emmanuel Besnault, directeur de la compagnie L’Éternel été est venu me voir, ému. Il m’a dit : tu as quelqu’un pour t’aider ? Car si tu veux, je te produis ! » Eva Rami présente donc « Vole ! » au Théâtre 95, mis en scène par Marc Ernotte, qui devient vite la révélation du festival OFF d’Avignon en 2016. « Mon père était à la régie lumière et ma mère au tractage. C’était tellement émouvant de voir mon père noter mes instructions, alors qu’il y a quelques années, c’était moi dans sa classe, assise, à écrire sous sa dictée. » Après Avignon, les rôles s’enchaînent pour Eva dans différentes créations et elle décide en 2018 de présenter le deuxième opus de son seul en scène. Ça sera « T’es toi ! », écrit en huit mois, sur une commande de Françoise Nahon, organisatrice du festival « Femmes en scène » à Nice. Elle le présente au Théâtre National de la ville, encore un succès. Cette fois, elle confronte son alter ego scénique Elsa Ravi au regard familial sur sa carrière d’actrice, où il est si difficile de trouver sa place. Eva, remplie d’énergie, chante, danse, imite, en passant d’un personnage à l’autre à une vitesse remarquable, émeut aux larmes, tout comme elle crée les éclats de rire, dans une déclaration d’espoir à la vie.

 

Préparé durant la crise sanitaire, le troisième volet de cette trilogie de seuls en scène met dix ans à sortir et fait éclore son plus grand silence. En 2023, « Va aimer ! », anagramme de son nom, joué à Paris et Avignon, et prochainement au Théâtre de La Pépinière à Paris, puis en tournée en France, dévoile une nouvelle facette intime du personnage principal d’Elsa Ravi, entouré de 18 personnages qu’elle incarne, et qui l’accompagnent dans sa confession libératrice, qui est un procès fictif où le personnage principal se confronte à ses agresseurs et à ceux des femmes de son entourage. « Il fallait que je fasse quelque chose de cette souffrance qui était en train de me bouffer, et ça a été salvateur. Chaque personnage que je joue, que ce soit mon père, ma mère psy, ma grand-mère italienne, mon thérapeute, mes amies… me permettent, avec humour ou émotion, de changer de voix, de corps, m’aident à libérer les mots et les révélations. Cette dernière partie du triptyque est l’histoire de la quête d’une femme qui se libère pour se construire, pour enfin apprendre à aimer. Chaque fois que je le joue sur scène et que je reçois l’amour du public, des messages de soutien, des témoignages similaires, je me sens utile et engagée. En abordant le thème du consentement et de la condition féminine, je veux donner de la force à toutes celles qui veulent se délester de leurs traumatismes et faire la paix avec elles-mêmes. Je veux aussi rendre hommage à toute l’équipe qui m’entoure dans ce spectacle : mon fidèle complice Luc Khiar  à la lumière, mon compagnon à la création musicale Fils de flûte, puis Camille Boujot, Alice Carré, Emmanuel Besnault, Audrey Vallarino, Aurore Lane, Valentin Perrin. »

 

En mai dernier, « Va aimer ! » a obtenu le Molière du meilleur Seul(e) en scène, face à Ludivine Seigner pour « Le consentement », Dominique Blanc pour « La douleur » et Franck Desmedt pour « Kessel ». « J’avais prévu un petit mot parce que je me suis dit, si ça m’arrive, je vais avoir une descente d’organes, ce qui est en train de se passer… J'ai une pensée tendre pour la petite fille que j’étais, celle qui s’est tue pendant des années, celle qui pensait que pour être aimée, il fallait tout accepter. La route est encore longue pour sortir du déni tant au niveau personnel que sociétal. Les lignes sont en train de bouger, les remparts s’élèvent contre les violences faites aux femmes et aux enfants grâce à nos témoignages », affirmait Eva, émue et surprise, en direct sur France 2, lors de sa distinction. « Ce Molière, c’est mon rêve d’enfant qui se réalise, moi qui pensais que ce prix était réservé à une élite. Et maintenant, je l’embrasse tout autant que je passe à autre chose, pour ne pas être éprouvée par la pression que ça met pour la suite. Mais les planètes sont alignées, et j’ai des envies de cinéma, de rencontrer de nouvelles équipes, de nouvelles familles, une des raisons pour lesquelles je fais ce métier. J’ai joué dans « N’avoue jamais » avec Sabine Azéma et André Dussollier, « Le Molière imaginaire » d’Olivier Py avec Laurent Lafitte, je jouerai notamment dans une série, puis en 2025 je serai dans « Le banquet » de Platon mis en scène par Nicolas Liautard, en plus de la tournée de « Va Aimer ! ». Ce travail demande beaucoup de concessions, d’ascèse, et de vivre à Paris. Dès que je peux, je viens me ressourcer sur ma Côte d’Azur que j’aime tant, entre Nice et Guillaumes, le village de ma tante. Dès que j’atterris, je sens mon sternum s’apaiser. Je me pose dans la nature, entourée de grands peupliers, je ferme les yeux et mon esprit s’envole. »

Image 1
© Gaëlle Simon
Image 2
© Gaëlle Simon

 

 

« Va aimer ! », à partir du 23 septembre au théâtre la Pépinière, à Paris, et en tournée dans toute la France. Toutes les dates sur https://evarami.fr/

Couv photo : © Valentin Perrin

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